dimanche 25 février 2007

L'évolution de la jurisprudence USIA : vers un "label" de SPIC ?

Deux arrêts récents du Tribunal des conflits semblent remettre en cause la jurisprudence USIA relative à la distinction SPIC- SPA.

Dans cette décision d’assemblée du 16 novembre 1956, le Conseil d’Etat a systématisé les critères permettant de renverser la présomption d’administrativité pesant sur les services publics. Selon cette jurisprudence, trois critères permettent de renverser cette présomption et, en conséquence, de qualifier le service public de SPIC : l’origine des ressources, les modalités de fonctionnement et l’objet du service. Si ces trois éléments sont organisés d’une façon comparable à celle d’une entreprise privée, le service public pourra être qualifié de SPIC.

Bien que cette jurisprudence ait permis de tracer, pour la première fois et de manière relativement convaincante, une frontière nette entre les SPIC et les SPA, force est de constater que son application s’est rapidement heurtée à divers obstacles.

La principale difficulté tient au fait de savoir si les trois critères de l’objet, du mode de fonctionnement et de l’origine des ressources sont cumulatifs. Une partie de la doctrine s’est prononcée en ce sens. Ainsi, le professeur Chapus, dans son ouvrage de Droit administratif général (Tome1) écrit (§768 de la 15ème édition) « un service ne sera reconnu comme industriel et commercial que si aux trois points de vue – objet, origine des ressources, modalités de fonctionnement – il ressemble à une entreprise privée. Il suffit qu’il en diffère à l’un de ces trois points de vue pour qu’il soit tenu pour administratif […] Telle est la règle et il n’est pas douteux qu’elle est observée dans les cas où la rédaction des arrêts n’en témoigne pas avec évidence. »

Cependant, les conclusions du commissaire du gouvernement Laurent sous l’arrêt USIA (Dalloz, 1956, p. 459) ne sont pas dépourvues d’ambiguïté. En effet, selon lui, « il n’y a d’autre ressource que de faire suivre l’analyse d’une appréciation d’ensemble ». Ainsi, compte tenu de cette formulation et du laconisme de l’arrêt de la Haute Assemblée, le doute est permis. La jurisprudence du Conseil d’Etat a contribué à renforcer cette incertitude puisqu’il lui est arrivé à plusieurs reprises de qualifier une activité de SPIC alors même que l’un des critères n’était pas rempli. C’est ainsi que dans un arrêt du 9 janvier 1981, Bouvet (rec. p. 4) le Conseil d’Etat a considéré que la gestion du service public en régie simple par la collectivité publique ne faisait pas obstacle à ce que le service soit qualifié de SPIC alors même que l’activité était gérée sous forme de monopole.

Dès lors, il semble opportun de considérer que l’identification des SPIC repose sur une combinaison de ces critères qui restent, par ailleurs, très subjectifs.

La recherche du cractère administratif ou industriel et commercial des services publics semble aussi incertaine et ardue que la qualification de service public d’une activité donnée. Ainsi, il se peut q’une même activité soit considérée comme un SPA ou comme un SPIC selon la manière dont elle est organisée. L’exemple des campings municipaux est topique. Ils ne sont qualifiés de SPIC que si les modalités particulières de gestion impliquent que la commune a entendu leur donner ce caractère. C’est ce qui ressort d’un arrêt du Tribunal des conflits du 14 janvier 1980, Mme Le Crom.(rec. Tables, p. 633) Notons ici que dans ce cas de figure, si le critère du fonctionnement diffère, l’objet de l’activité reste, quant à lui, identique, ce qui affaiblit la thèse selon laquelle il s’agirait de critères cumulatifs. Ainsi, Stéphane. Braconnier, dans son ouvrage Droit des Services publics, (PUF) semble parfaitement tenir compte la réalité de la jurisprudence relative à cette question lorsqu’il écrit que c’est une impression d’ensemble qui autorise à renverser la présomption d’administrativité du service public.

Dans tous les cas, le juge administratif dispose d’un pouvoir d’appréciation relativement large.

Nous pouvons cependant remarquer que la jurisprudence devient de plus en plus claire en ce sens que le juge semble avoir définitivement renoncé au caractère cumulatif des critères.

Dès 1991, dans un arrêt M. Thomas du 9 février (AJDA 1990, p. 558) il a reconnu « Qu’eu égard a à son objet et aux conditions de fonctionnement, le service de distribution d’eau, exploité en régie par la commune de Francazal présente le caractère d’un service public industriel et commercial, bien que la somme à la charge de chacun des titulaires d’une police d’abonnement ait un caractère forfaitaire et soit inférieure au coût réel du service. »

Le Tribunal des conflits ne tenait pas compte du critère du mode de gestion. Il a récemment confirmé cette position.

Tout d’abord dans un arrêt du 21 mars 2005 Mme Alberti-Scott (RFDA 2006, p. 125, note J.F. Lachaume). En l’espèce, l’objet du service était la distribution de l’eau. Le service était géré en régie par la commune, ne disposant pas d’un budget annexe. Enfin, le prix facturé ne couvrait que faiblement le coût annuel du service. Deux des critères abondaient dans le sens du maintien de la présomption d’administrativité du service public, or, le Tribunal des conflits a considéré que « le service public de distribution d’eau est en principe, de par son objet, un service public industriel et commercial ; qu’il en va ainsi même si, s’agissant de son organisation et de son financement, ce service est géré en régie par la commune, sans disposer d’un budget annexe, et si le prix facturé à l’usager ne couvre que partiellement le coût du service. » Seule une absence de facturation périodique à l’usager permettrait de confirmer la présomption d'administrativité pesant sur chaque service public.

Le Tribunal accorde ainsi une place prépondérante au critère de l’objet dans l’identification du SPIC. S’agit-il d’une hiérarchisation des critères ? D’une présomption de caractère industriel et commercial liée au seul objet du service public en cause ? Si le Tribunal semble réserver une place primordiale au critère de l’objet, il n’entend pas pour autant oublier les autres critères puisqu’il y fait expressément référence. Cependant, le Tribunal des conflits juge ici qu’un service public peut, par son seul objet, être présumé industriel et commercial.

Il nous reste alors à rechercher s’il s’agit d’une présomption simple ou d’une présomption irréfragable. A priori, il devrait s’agir d’une présomption simple. Cependant, si tel était le cas, les deux autres critères, apparentant le service public en cause à un service public administratif auraient dû permettre au juge de renverser cette présomption. Dès lors, devons-nous en conclure qu’il s’agit d’une présomption irréfragable ? La seule certitude résultant de la décision Alberti-Scott concerne la prédominance du critère de l’objet.

Le Tribunal des conflits a confirmé sa jurisprudence Alberti Scott dans un arrêt du 16 octobre 2006 (n° C3511). Il s’agissait d’un service public de distribution d’eau d’irrigation exercé en régie par un EPCI. Le Tribunal des conflits a, une fois de plus, considéré que l’activité en cause présentait « un caractère industriel et commercial, nonobstant la circonstance que le montant des redevances à la charge des bénéficiaires ne représenterait qu’une faible partie du coût du service. » Dans cette espèce, il n’est pas fait référence à une présomption de caractère industriel et commercial liée à l’objet du service. Cependant, il en ressort clairement que le fait que les deux autres critères penchent en faveur d’un caractère administratif du service ne fait pas obstacle à ce qu’il soit qualifié de SPIC.

Ainsi, il ressort nettement de la jurisprudence récente du Tribunal des conflits que le critère de l’objet joue un rôle prépondérant dans la qualification des SPIC et qu’il suffit, à lui seul, à renverser la présomption d’administrativité pesant sur chaque service public. Il est cependant nécessaire de remarquer que ces arrêts concernent le service public de la distribution d’eau. Dès lors, il est loisible de s’interroger sur la portée de cette jurisprudence. Va-t-elle être étendue à l’ensemble des services publics ou s’agit-il d’une particularité reconnue au seul service public de la distribution de l’eau ? Une chose est certaine : les critères de distinction SPIC-SPA laissent encore subsister un flou considérable et ce, à un point tel que la théorie du label développée par Didier Truchet (« Label de service public et statut de service public », AJDA 1982, p. 427) pourrait parfaitement se transposer à la distinction SPIC-SPA.